Ah, le joli mois de mai …
1968, bien sûr !
Cinquante après les évènements demandez encore à quelqu’un de cette génération ce qu’il faisait à ce moment-là, il y a de fortes chances qu’il s’en souvienne précisément. Pour les autres, le livre de Serge Bertin leur rafraîchira la mémoire.
Au Mans, certains ouvriers de chez Renault ou cheminots de la SNCF étaient en grève et défilaient dans des cortèges parfois impressionnants partis de la maison sociale (où se trouve aujourd’hui le Palais des congrès et de la culture) dans les rues de la ville, encadrés par le service d’ordre de la CGT et drapeaux rouges en tête. Parfois des rencontres musclées avaient lieu à l’abord de la préfecture avec les CRS, rencontres ponctuées par des jets de grenades lacrymogènes et de heurts plus ou moins violents. Mais on était loin des nuits d’émeute du quartier Saint-Germain.
Des A.G dans les facs en guise de cours
Dans les facs, comme celle des sciences et de droit, alors rue Montbarbet, on s’agitait dans les amphis à grand renfort d’AG bruyantes et brouillonnes, ici et là des piquets de grève se tenaient notamment à la fac des lettres déjà implantée route de Laval dans ce qui n’était encore que l’embryon du campus de Vaurouzé.
Des militants politisés, de tous bords
Des militants dits « situationnistes », prochinois, petit livre rouge de Mao en mains, d’extrême gauche comme la Ligue communiste révolutionnaire, la JCR, Lutte ouvrière, mais aussi l’UNEF, (le syndicat de gauche étudiant), se disputaient avec les adhérents de l’UNI et de la FNEF (de droite), voire d’Ordre nouveau et Occident (d’extrême droite), les murs de la ville pour des collages d’affiches sauvages et parfois rugueux dont certains tournaient à la « baston ». L’AGEM, l’association générale des étudiants du Mans, rue Pasteur, était le lieu de réunions enfiévrées où l’on refaisait le monde et espérait changer la vie en réclamant par exemple … la mixité dans les cités universitaires et la fin des « mandarins » autrement dit les profs d’université. Au Mans on appelait ceux-ci des « turbo profs » car la plupart venaient de Paris ou de Caen pour des cours magistraux, aller-retour, du haut de leur chaire universitaire, sans aucun dialogue avec les étudiants.
Le regard de l’ethnologue
Serge Bertin, docteur en ethnologie a bien connu cette période et aujourd’hui il livre son témoignage dans un livre publié aux éditions « Libra diffusio » : Mai 68 au Mans. Ce défenseur authentique d’une culture populaire, qui a beaucoup travaillé sur la culture locale et qui est passionnément attaché à la ville du Mans où il est né, a fait œuvre d’historien et au-delà des faits son livre est richement illustré de photos de cette période mouvementée. Souvenirs, souvenirs.
Des affiches « collector » et des slogans fameux
L’auteur prend soin de rappeler que l’avenue du général Leclerc n’était pas le Boul’ Mich (boulevard Saint-Michel), la rue des Minimes n’avait rien à voir avec la rue Gay-Lussac et la place de la République le Quartier Latin. Dans cette préfecture de province, connue pour ronronner dès la nuit tombée, à aucun moment on n’a dépavé les rues et mis le feu à des barricades. C’est tout juste si la voiture du préfet à été retournée et ses appartements quelque peu malmenés. Là-dessus sont arrivés le mois de juin, juillet, août et avec eux les vacances. Les révolutionnaires, les insurgés ont alors découvert avec la Nationale 7 « sous les pavés, la plage » et les affres du capitalisme au soleil, mini-jupe, bikini, barbecue sur la plage et tutti quanti. Le renouvellement des députés à l’Assemblée nationale a accouché d’une chambre bleue, blanc, rouge, le général à coiffé à nouveau son képi, les ouvriers ont retrouvé le chemin des usines et les étudiants ont préparé la rentrée suivante. Le joli mois de mai n’était plus qu’un souvenir dont la plupart des affiches deviendraient « collector » tandis qu’un florilège de slogans passerait à la postérité : « Il est interdit d’interdire », « Ce n’est qu’un début, continuons le combat », « Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi », « Elections, piège à cons », « Faites l’amour, pas la guerre », « L’imagination au pouvoir », « Je ne veux pas perdre la vie à la gagner », etc.
50 ans ont passé et on ne refait pas du neuf avec de l’ancien
En ce mois de mai 2018, cinquante ans ont passé, et certains esprits nostalgiques rêvent de rejouer la scène vécue voici un demi-siècle sur le pavé parisien en oubliant qu’on ne repasse jamais deux fois le même plat, surtout lorsqu’il est refroidi. Mieux vaut aujourd’hui inventer une nouvelle recette et archiver celle de 68 pour le régal des seuls historiens. A l’image de Serge Bertin, qui vous invite justement à une plongée au cœur des évènements qu’à connu Le Mans voici un demi-siècle. Passionnant !
« Mai 68 au Mans, les yeux de la mémoire » de Serge Bertin, Editions Libra diffusio, en vente dans toutes les librairies du Mans.